Un peu d’alcool pendant la grossesse, ce ne serait pas si dangereux que ça pour le bébé à naître ? C’est en substance ce que révèle une étude menée sur plus de 10.000 enfants dont les mères ont bu modérément de l’alcool alors qu’elles étaient enceintes. Denis Lamblin, président de l’association Syndrome d’Alcoolisation Fœtale (SAF) France, rappelle les dangers d’une telle consommation.

Dire que boire un peu d’alcool pendant la grossesse, ça ne fait rien au bébé, c’est un peu rapide. Les conclusions de l’étude qui a été publiée le 17 avril 2013 dans le “BJOG – An International Journal of Obstetrics & Gynaecology” sont plus prudentes.

Certes, les chercheurs soulignent qu’à l’âge de 7 ans les enfants dont les mères ont bu jusqu’à deux unités d’alcool, soit 20 grammes d’alcool [1], par semaine ne présentent pas de difficultés comportementales ni cognitives. Mais ce n’est pas pour autant que la consommation d’alcool, même modérée, par une femme enceinte est sans danger.

Des malformations en majorité cérébrales

L’alcool est une substance potentiellement toxique pour l’adulte, des milliers d’individus en meurent chaque année. C’est donc, à l’évidence, une substance toxique pour l’enfant, un tératogène, qui provoque des malformations. Sauf que l’on en parle peu car ces malformations sont rarement visibles sur le corps et sont en majorité cérébrales. La consommation d’alcool pendant la grossesse est pourtant une cause majeure de retard mental d’origine non génétique et d’inadaptation sociale de l’enfant.

S’il ne faut pas déclencher une IVG dès qu’on a bu un verre, il s’agit de prendre conscience des risques. Consommer de l’alcool pendant la grossesse est plus dangereux pour le fœtus que de fumer une cigarette, voire de prendre de l’héroïne ou de la cocaïne. C’est la drogue la plus dangereuse pour les femmes enceintes !

En fonction du patrimoine génétique de la mère et du fœtus, la métabolisation de l’alcool est plus ou moins efficace. J’ai déjà vu deux faux jumeaux de 14 ans, l’un atteint du syndrome d’alcoolisation fœtale, avec un niveau scolaire de 6 ans, tandis que l’autre ne l’était pas et avait un niveau scolaire correspondant à son âge.

Une question de patrimoine génétique

Il existe des spécificités et des vulnérabilités individuelles que l’on ne sait pas repérer. Certaines femmes peuvent bien métaboliser l’alcool et ainsi épargner leur bébé. Pour d’autres, la dose d’alcool, bien que faible, aura des conséquences sur le développement de l’enfant.

De nombreux facteurs vont influencer cette métabolisation de l’alcool, comme le tabagisme de la mère, son âge (après 30 ans, le risque est plus grand), son alimentation, le mode de consommation de l’alcool (aigu ou chronique) mais aussi le moment précis de la grossesse durant lequel cette consommation a eu lieu.

Si le cerveau est sensible à l’alcool pendant toute la grossesse (n’étant pas à maturation lors de la naissance), le cœur, lui, se développe entre le 21e et le 50e jour de grossesse. Pendant cette période, la mise en présence d’alcool avec le fœtus peut avoir un impact négatif et provoquer une malformation cardiaque. De même, toute consommation d’alcool entre le 36e et le 40e jour de grossesse – quatre jours seulement – peut aussi conduire à un bec de lièvre (fente labio-palatine).

7500 bébés par an touchés

Dire que les enfants de 7 ans dont les mères ont eu une consommation modérée ne présentent pas de retard cognitif est rassurant. Mais les tests menés pour cette étude sont trop académiques et trop imprécis. Ils ciblent les compétences en mathématiques et en lecture alors que le quotient de développement et d’adaptation sociale des enfants atteints par les troubles causés par l’alcoolisation fœtale est plus atteint que leur QI.

Et si certains enfants s’en sortent scolairement, ils ont plus de mal à s’adapter à la vie sociale. L’alcool touche notamment les fonctions exécutives du cerveau. Les individus atteints auront plus de mal à planifier, organiser, structurer, à s’adapter aux changements d’environnement, mais aussi à contrôler leurs émotions et à se concentrer. Le nombre de neurones sollicités pour mener à bien une tâche est bien supérieure à celui mis en œuvre par les enfants non atteints. C’est pour cela que ces jeunes rament et s’épuisent.

Ainsi, ce produit qu’est l’alcool, dont le bébé n’a a priori pas besoin, peut être à l’origine de l’échec scolaire, de conduites asociales voire délinquantes d’adolescents. Près de 15% des adolescents en prison au Canada sont porteurs de séquelles dues à l’alcoolisation fœtale. C’est un problème de santé publique qui est loin d’être anecdotique : 1% de la population française est touchée, 7500 bébés chaque année, soit un par heure. Et les conséquences perdurent toute leur vie…

Faire tomber le tabou

Mon message, c’est bien de dire que ces malformations provoquées par l’alcool sont évitables. Je préconise aux femmes enceintes de suivre le principe de précaution et de s’abstenir d’alcool pendant la grossesse. Sinon, dans le contexte actuel de crise et de recrudescence des accès d’ivresse chez les jeunes, ce sont de plus en plus d’enfants atteints que la société va devoir porter.

Il ne s’agit ni d’interdire ni de culpabiliser mais d’alerter les consciences. Au contraire, il ne faut pas que ce soit un tabou, pour que nous puissions prendre en charge les enfants de manière précoce et adaptée. Car la stigmatisation de ces mères génère de la souffrance et des inégalités sociales acquises dès la naissance. Ne pas en parler, c’est empêcher que les enfants atteints soient suivis comme le sont les grands prématurés.

Constatant le retard de croissance de son bébé au deuxième trimestre de grossesse, une maman, malade alcoolique, a arrêté de boire subitement. Résultat : malgré des lésions cérébrales, le poids de l’enfant à la naissance était normal. Plutôt que d’hypothéquer l’avenir de nos enfants en étant dans le jugement, il est de notre responsabilité à tous de parler de l’alcoolisation fœtale.

[1] Une unité d’alcool correspond à 10 grammes d’alcool, soit un verre de 25 cL de bière à 5 degrés, ou de 10 cL de vin à 12 degrés, ou de 10 cL de champagne à 12 degrés,ou de 3 cL de whisky à 40 degrés, ou  de 2,5 cL de rhum à 50 degrés. Retour au texte.

Propos recueillis par Daphnée Leportois.